Elle pourrait être la devise de Pierre Peyrolle. Sa manière procède en effet des Kunstkammer, ces cabinets de merveilles renaissants comme de l’art baroque qui a pour principe premier la rhétorique. Il émerveille et il convainc tout à la fois, emportant le spectateur dans un monde où matières, formes, couleurs se répondent. Une fête pour les yeux. Un tourbillon pour l’esprit. Une fantaisie, tantôt excessive, tantôt d’une rare subtilité. Un art de la mise en scène et du théâtre, mais qui n’ont rien d’éphémère. « Le monde entier est une scène de théâtre ». En choisissant cette citation de William Shakespeare en exergue, Pierre Peyrolle dévoile ses secrets. Le décor est pour lui une mise en scène théâtrale, mais il révèle un monde. Ou même des mondes. Ceux, intérieurs, des hommes et des femmes pour lesquels ils composent des ensembles qui ne dévoilent tout qu’à ceux là-même qui les habitent. Ceux des objets, savamment choisis, artistement disposés et même « scénarisés ».
La manière de Pierre Peyrolle est dans cette capacité à jouer des équilibres et des mises en scènes. Un œil averti, mais aussi espiègle. Pierre Peyrolle joue. Il cache et dévoile. Il a le goût du secret comme de l’apparence. Il joue des codes, des habitudes, de lui-même aussi. Il place un objet sur console au beau milieu d’un paysage comme si le coup du hasard l’avait planté là. Il mêle l’or, le marbre, le velours et les curiosités naturelles dans une gigantesque vitrine. Il donne à la cheminée la forme d’une bouche ouverte dont on ne sait si elle dévore ou si elle hurle. Il compose comme un musicien : des opéras surtout mais aussi parfois de la musique de chambre. Un orchestre entier, auquel succède une voix.
La manière de Pierre Peyrolle étonne à une époque où le décor intérieur est dans la mesure, des formes comme des couleurs. Lui choisit résolument le parti de la générosité. Du faste. Du « grand goût » dont l’œil contemporain a oublié ce qu’il avait, au moment de sa création, d’excessif dans les couleurs et l’association des formes. Avec le temps, les décors du Grand Siècle ont perdu l’éclat coloré de leurs ors brillants et de leurs textiles chatoyants. Pierre Peyrolle leur redonne vie. Ses décors fastueux ne sont pas immédiatement accessibles.
Ils nécessitent que le spectateur accepte de se laisser emporter dans un monde de couleurs, de formes, de matières, qui est celui du faste, de la surprise, de l’enchantement. Au fond d’entrer sur cette scène de théâtre pour y jouer son propre rôle et ainsi découvrir un véritable monde.
Le monde rêvé de Pierre Peyrolle est le triomphe de la curiosité, au sens dix-septiémiste du terme, c’est-à-dire dans l’acceptation que lui donne La Bruyère qui « n’est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare, unique, pour ce qu’on a et ce que les autres n’ont point. Ce n’est pas un attachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, à ce qui est à la mode. Ce n’est pas un amusement, mais une passion, et souvent si violente, qu’elle ne cède à l’amour et à l’ambition que par la petitesse de son objet ». La manière de Pierre Peyrolle est dans ce goût pour l’insolite, le rare, le décalé, l’inattendu, l’unique. La mise en scène de cabinets de curiosités en témoigne : point de restitution, point de pastiche. Non, de l’invention. Faire du neuf avec de l’ancien. De l’étrange avec du rare. Émerveiller celui qui a la chance de pénétrer dans un univers que l’on pensait ne pas pouvoir exister. Une grotte de coquilles et de minéraux, un salon de bois et de velours où triomphe la courbe du baroque italien ; une galerie de cabinets gardée par des maures. Le jeux des formes, des matières, des couleurs. Un goût, assurément. Qui puise dans les modèles du passé, mais réinvente, même dans un décor contemporain où la gaité polychrome a cédé la place au noir et blanc. Le goût du faste.